Avant-propos

Pour l’UICN, comme le rappelait Freddy Rey dans la première partie de ce numéro spécial parue en septembre 2023, les « solutions fondées sur la nature » (SfN) constituent des réponses aujourd’hui largement publicisées pour faire face à deux enjeux majeurs et connectés : le changement climatique et l’érosion de la biodiversité. Construits comme des problèmes publics globaux, ces deux enjeux font aussi l’objet de politiques publiques à des niveaux multiples, non seulement internationaux, européens mais aussi nationaux ou plus locaux. Concernant les risques liés à l’eau, le changement climatique augmente la fréquence et l’intensité des évènements extrêmes  (canicules, sécheresses et inondations). En matière de déclin de la biodiversité, les experts considèrent les écosystèmes aquatiques à la fois comme des milieux particulièrement dégradés et vulnérables, et aussi prioritaires pour les services qu’ils peuvent rendre. Comment localement se déploient des projets qualifiés de SfN, avec quels effets sur les milieux, sur la sécurité des populations ou encore en matière de justice environnementale ? Ce sont ces questions que l’Astee et son Comité de la recherche ont souhaité aborder ici. Ces questions concernent en effet non seulement des chercheurs issus de différentes disciplines, mais aussi l’action publique ou ses partenaires qui travaillent dans le domaine de la gestion de l’eau, dans des espaces urbains ou dans des territoires plus larges.

Ce deuxième volet du dossier démarre par deux contributions sur des SfN dans des espaces urbains. La contribution de Caltran & al. présente une action mise en place par la Métropole de Lyon, en tant que site pilote démonstrateur du projet LIFE ARTISAN, sur les « solutions d’adaptation fondées sur la nature » (SafN). Les aménagements relèvent, en concertation avec les riverains, de la désimperméabilisation et de la végétalisation du pourtour de dix arbres pour une gestion alternative des eaux pluviales, en déconnectant du réseau les 15 premiers millimètres de pluie. L’évaluation des capacités d’infiltration et d’évapotranspiration associées au dispositif montre des résultats très encourageants, dans des situations où il n’est pas prévu de projet d’aménagement plus large. Pour poursuivre l’analyse, il serait intéressant d’évaluer les coûts de ce type de solutions, et de le mettre en perspective en particulier avec le coût d’actions ayant une plus grande envergure spatiale de desimperméabilisation et de végétalisation urbaines. Maurice & al. proposent quant à eux un premier bilan de l’effet, sur la biodiversité et la qualité chimique des eaux (nutriments, micropolluants urbains), de la mise en place d’une zone humide végétalisée, conçue en 2012. Cette zone reçoit les eaux de la station d’épuration du Grand Reims et les eaux sans traitement en cas de forte pluie. Les résultats illustrent bien le caractère dynamique du vivant, avec l’apparition de nouvelles espèces végétales et animales. Ils montrent globalement une amélioration de la diversité biologique du site. En ce qui concerne la qualité chimique de l’eau, les résultats donnent à voir l’efficacité de la zone humide pour l’abattement de l’azote et des micropolluants organiques (pharmaceutiques) par photolyse, mais pas pour les micropolluants persistants tels que les PFOS. Ces premiers résultats invitent à analyser le devenir des métabolites et leurs effets sur la faune ou la flore. Ils suggèrent aussi les limites des promesses des solutions réparatrices (« naturelles » ou fondées sur des « infrastructures grises »), que soit pour leur coût, leur efficacité ou encore les risques de déplacement de la pollution d’un milieu à un autre qu’elles peuvent induire. Ils posent la question de la faisabilité ou des conditions d’une réduction « à la source » des différents types de polluants selon une logique préventive. Ce travail montre, enfin, l’importance du travail gestionnaire nécessaire au fonctionnement ou à la maintenance à court ou moyen terme des SfN.

Le troisième article de Pezet & al. porte sur une SfN à l’échelle d’un bassin versant, celui de la Saleine, un affluent de la Drôme dont le lit a été rectifié et endigué. Cette solution vise à la fois une amélioration de la biodiversité d’écosystèmes très dégradés et une meilleure gestion du risque d’inondation par débordement du cours d’eau ou par ruissellement des eaux pluviales à proximité d’une zone d’activité dans un espace périurbain. Elle s’inscrit dans les missions associées à la compétence GEMAPI. Les actions menées ont consisté à araser une digue en rive gauche, permettant un élargissement du lit sur un linéaire de 600 mètres pour écrêter les crues ; à re-végétaliser les berges et à les conforter (enrochements) à proximité d’ouvrages hydrauliques ; à déplacer et à améliorer l’état écologique et paysager de l’ouvrage de rétention des eaux pluviales. Si ce projet fait l’objet, comme le montrent les auteurs, d’un diagnostic fin, leur analyse donne aussi à voir la difficulté à mettre en place, de manière effective, un suivi, par le maître d’ouvrage, des effets des actions à moyen et long terme. C’est pourtant bien un tel suivi qui pourrait permettre d’administrer la preuve de la capacité de ce type d’actions à assurer, à moindre coût, la sécurité des biens et des personnes tout en ayant aussi, des effets positifs sur les milieux et la biodiversité.

L’article de Guerrin & al., enfin, analyse les formes prises par l’institutionnalisation du concept de SfN dans deux pays, la France et les USA, où il est associé à des styles d’action publique assez comparables, fondés sur des instruments contractuels, incitatifs et volontaires. Les résultats illustrent l’importance d’analyser, au-delà des définitions, concepts, stratégies ou documents règlementaires internationaux, européens ou nationaux, les modalités de mise en œuvre concrètes des politiques publiques. Localement, l’ambiguïté du concept, qui peut s’avérer productive à d’autres échelles, peut aussi constituer un frein au déploiement des SfN. Le manque de savoirs actionnables pour objectiver le bien-fondé de ces solutions, ou encore les inerties organisationnelles constituent des freins qui contribuent à limiter le déploiement massif de ce type de solutions, et d’une gestion de l’eau plus adaptative et plus robuste aux changements.

Sara Fernandez

Co-animatrice du groupe de travail Solutions Fondées sur la Nature du comité de la recherche de l’Astee

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