Eaux non conventionnelles
Avant-propos
Recycler/réutiliser nos eaux usées, nos eaux de pluie, nos eaux de piscine, … ? Dans le contexte des changements globaux que l’on sait, voilà qui relève de l’évidence pour tout professionnel de l’eau en réponse aux tensions sur les ressources en eau et en complément d’actions de sobriété. En France, le recours à ces eaux dites « non conventionnelles » (ENC) pour des usages ne nécessitant pas de l’eau potable peine toutefois à se développer.
Pourtant, nombre de nos voisins, proches ou éloignés, confrontés depuis longtemps à des épisodes de pénuries de la ressource, ont franchi le pas et systématisé la pratique avec toutefois un bilan global (impact économique, environnemental, …) qui reste encore à dresser sur le long terme. Et, ces dernières années la volonté politique de développer le recours à ces eaux non conventionnelles s’affirme. En témoigne l’adoption du Plan eau par le gouvernement français au printemps 2023, avec pour ambition de développer 1000 projets à horizon 2027.
Le fait est que ce n’est pas si simple …
Au moment où nous rédigeons cet avant-propos, on assiste certes à un frémissement. Pour la réutilisation des eaux usées traitées, par exemple, la mise à jour, en 2023, de l’étude du CEREMA de 2018, rapporte bien une augmentation significative du nombre de projets lancés récemment : 136 projets en cours de montage lors des enquêtes menées en 2022, contre seulement 29 en 2017. Mais l’étude met aussi en évidence des difficultés persistantes corroborées par un nombre croissant de projets qui avortent (47 en 2022 ; 30 en 2017).
Les travaux de l’ASTEE, pilotés par les deux Ministères Environnement et Santé ont souligné que des freins et questionnements persistent :
- le cadre réglementaire reste complexe et incomplet, et il ne permet pas le multi-source et le multi-usage,
- les contraintes économiques, face à des projets nécessitant des investissements pour traiter et transporter les eaux sur les lieux d’usage (parfois éloignés) sont difficiles à surmonter,
- la question de l’impact environnemental se pose : les eaux ainsi utilisées ne sont pas une nouvelle ressource et risquent de manquer au milieu, surtout en période estivale de basses eaux et les critères d’acceptabilité restent assez peu définis,
- de nombreux utilisateurs finaux sont réticents vis-à-vis de la pratique…
Ainsi, il n’est pas certain que le recours à ces eaux soit à la hauteur des espérances, c’est-à-dire qu’il permette effectivement de contribuer à relever significativement les défis de l’eau.
Cependant, la France peut compter sur plusieurs atouts de taille :
- Même si elle présente encore quelques incohérences, la réglementation est en évolution rapide et vise à élargir les possibles en termes de ressources mobilisables et d’usages, tout en simplifiant les procédures préalables ;
- Un savoir-faire d’excellence, reconnu mondialement, existe dans le domaine industriel du traitement de l’eau ;
- Ainsi qu’une communauté de recherche particulièrement active et en forte prise avec les territoires sur ces questions de recours aux eaux non conventionnelles. Mobilisée pour apporter des solutions en rupture et repenser globalement le cycle de l’eau, elle a pour objectif premier de promouvoir la circularité de la ressource en eau et de minimiser les impacts anthropiques sur l’environnement, en lien étroit avec des chercheurs œuvrant dans diverses disciplines (sciences humaines et sociales, économiques ou encore juridiques et urbanistiques, …).
Ce dossier en mobilisant acteurs de la recherche, bureaux d’études, acteurs de la sphère socio-économique, publics comme privés, tente l’exercice de dresser le bilan de ce qu’il est possible de faire (solutions techniques et économiques) dans le respect de l’environnement et la santé, à date et dans une vision plus prospective en mobilisant de nouveaux outils, méthodes, solutions, …
Divers enseignements émergent …
Pour l’étude des opportunités, une vision globale de la gestion de l’eau à l’échelle du territoire avec une vision prospective court/moyen/long termes est un facteur clé de réussite et peut amener à identifier des secteurs, des situations ou des stations propices à la réutilisation des eaux usées traitées pour réduire les prélèvements agricoles, industriels, … (F. Chevaux et al, projet INSPIRA- S. Talut et al).
Les REX partagés reviennent sur l’« aventure » ayant conduit à la mise en place de projets de réutilisation d’eaux usées traitées, et soulignent la nécessité d’une évolution/adaptation au fil du temps de ces projets (G. Petit-Joly et al) ainsi que les bénéfices liés, y compris pour l’environnement dans certains contextes (F. Nakache Danglot et al.).
Les pratiques et logiques de partage des coûts sont analysées (M. Montignoul) et interrogent sur le fait que ce ne sont pas les utilisateurs finaux qui supportent la majeure partie des coûts d’investissement mais la puissance publique et poussent à considérer dans les projets l’intérêt général de ce fait.
Diverses études visant à évaluer et valider des solutions de traitement et stockage des eaux pour l’irrigation en milieu agricole (Rur’eaux – S. Troesh et al) ou bien encore le recyclage des eaux de blanchisserie (L. Rouvière et al) mettent en avant des solutions adaptées pour produire les qualités d’eau souhaitées mais aussi les points de vigilance nécessaires pour l’exploitation de ces solutions.
Enfin, les approches multi-barrières co-construites avec les diverses parties prenantes impliquées peuvent permettre au besoin de compléter les traitements pour garantir l’innocuité sanitaire (S. Guillaume-Ruty et al).
En conclusion ce dossier montre que des opportunités et des solutions existent, mais qu’elles sont à adapter localement, selon le contexte, pour des projets garantissant l’innocuité sanitaire et environnementale. Même si elle reste à quantifier, une contribution du recours aux ENC aux défis de l’eau existe bel et bien.
Ouverture donc vers la lecture…
Jérôme Harmand, Directeur de Recherche INRAE, LBE, Narbonne
Christelle Pagotto, ingénieur projet / experte technique et règlementaire eau, assainissement et environnement-Veolia Eau France-Animatrice des groupes de travail « Eaux non conventionnelles » et « RSDE – Diagnostic vers l’amont » de l’Astee et membre du comité de Lecture de TSM




