Études
Assainissement
TSM 7/8 2014 - Page(s) 49-68

Nutriments dans les eaux usées : premier bilan national détaillé d’une déperdition de ressources stratégiques

Nutrients in wastewater: first detailed national assessment of a waste of strategic resources

Résumé

Malgré les progrès importants réalisés depuis cinquante ans en termes de préservation des milieux aquatiques vis-à-vis des pollutions liées aux eaux usées, l’azote (N) et le phosphore (P) présents dans les eaux usées entraînent des coûts de gestion importants en stations de traitement des eaux usées (STEU) et des pollutions encore non négligeables des milieux aquatiques. Or le N et le P des eaux usées proviennent essentiellement des excrétions humaines et présentent un potentiel significatif pour la fertilisation. Dans cette étude, nous utilisons pour la première fois les données opérationnelles des plus de 20 000 STEU françaises sur deux décennies pour produire un bilan des flux de N et P dans les systèmes d'assainissement.

 

Bien que les ¾ des boues de STEU soient épandues sur les cultures, seulement 50% du P et 10% du N excrétés sont réutilisés en agriculture. 35% du P et 40% du N sont émis dans les eaux de surface ou de manière diffuse, dont 30 à 50% est perdu en dehors des STEU, par l’assainissement non collectif et les rejets directs des réseaux. Enfin, 15% du P est incinéré ou mis en décharge, tandis que 50% du N est dispersé dans l’atmosphère, en majorité suite à la dénitrification en STEU.

 

Alors que le rendement épuratoire des STEU a augmenté dans les années 2000, atteignant une valeur nationale de 80% pour le P et 70% pour le N, cela a été suivi d'une décennie de stagnation. Cette stagnation finale du rendement épuratoire, de 60% à 85% selon les bassins, est étroitement associée au classement réglementaire en zones sensibles N et P. Pour le P, l’augmentation des rendements épuratoires a de plus été couplée à une nette diminution des émissions à la source, en amont des STEU, due à l’interdiction des phosphates dans les détergents. Nos données suggèrent en outre une volatilisation ammoniacale non négligeable dans les égouts, rarement mise en évidence, qui mériterait confirmation par une campagne de mesures sur le terrain.

 

Les différences de recyclage agricole du N et du P sont dues au procédé de dénitrification qui détruit la ressource azotée, résultant en la production de boues au ratio N:P non adapté aux besoins des cultures. Bien qu’il semble encore possible d’augmenter le recyclage du P en se concentrant sur les pertes hors station et en augmentant le rendement épuratoire, une nouvelle approche sera nécessaire pour une économie circulaire de N, invitant à repenser plus globalement les interactions entre la gestion de l’eau et celle des excrétions humaines.

Abstract

Despite the substantial progress made over the last fifty years towards preserving aquatic environments from wastewater pollution, the presence of nitrogen (N) and phosphorus (P)  in wastewater continues to incur high management costs for wastewater treatment plants (WWTPs) and results in significant pollution of aquatic ecosystems. However, N and P in wastewater primarly originate from human excretions and possess   significant fertilization potential. In this study, for the first time, we utilize operational data from over 20,000 French WWTPs over two decades to assess the N and P flows in wastewater systems.

Even though  ¾ of WWTP sludge is applied to crops, only 50% of the P and 10% of the N excreted are actually reused in agriculture. 35% of P and 40% of N are released into surface waters or diffusely, of which 30 to 50% is lost outside WWTPs, via individual autonomous systems and direct discharge networks . Lastly, 15% of P is either incinerated or deposited in landfills, while 50% of N is dispersed into the atmosphere, primarily though denitrification processes within WWTPs.

After an increase in the removal efficiency of WWTPs during the 2000s, with national rates reaching 80% for phosphorus (P) and 70% for nitrogen (N), there was a subsequent decade marked by stagnation in these improvements. . This final stagnation, ranging from 60% to 85% depending on the basin, is closely associated with the regulatory classification of N and P as sensitive zones. For P, the increase in removal efficiency is coupled with a clear reduction in source emissions, upstream of WWTPs, due to the ban on phosphates in detergents. Our data also suggest significant ammonia volatilization in sewers, which has rarely been highlighted, and should be confirmed by empirical field measurements.

Differences in N and P recycling to agriculture are due to the denitrification process, which destroys the nitrogen resource, resulting in the production of sludge with an N:P ratio not adapted to crop needs. Although it still seems possible to increase P recycling by focusing on losses outside WWTPs and increasing removal efficiency, a new approach will be needed for a circular N economy, inviting a more global rethinking of interactions between water and human excreta management.

Mots clés : azote, phosphore, Station d’épuration, Rendement épuratoire, Assainissement, Boues, Valorisation
Keywords : Nitrogen, Phosphorus, Wastewater treatment plant, removal efficiency, Sanitation, Sludge, Recovery

1LEESU, Ecole des Ponts, Univ Paris Est Creteil, Marne-la-Vallée, France

1,2METIS, Sorbonne Université, CNRS, EPHE, Paris, France

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Article paru dans TSM 7/8 2014
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