Nutriments dans les eaux usées : premier bilan national détaillé d'une déperdition de ressources stratégiques
Nutriments dans les eaux usées : première évaluation nationale détaillée d'un gaspillage de ressources stratégiques
RésuméMalgré les progrès importants réalisés depuis cinquante ans en termes de préservation des milieux aquatiques vis-à-vis des pollutions liées aux eaux usées, l'azote (N) et le phosphore (P) présents dans les eaux usées entraînent des coûts de gestion importants en stations de traitement des eaux usées (STEU) et des pollutions encore non négligeables des milieux aquatiques. Or le N et le P des eaux usées proviennent essentiellement des excrétions humaines et présentent un potentiel significatif pour la fertilisation. Dans cette étude, nous utilisons pour la première fois les données opérationnelles de plus de 20 000 STEU françaises sur deux décennies pour produire un bilan des flux de N et P dans les systèmes d'assainissement.
Bien que les ¾ des boues de STEU soient épandues sur les cultures, seulement 50% du P et 10% du N excrétés sont réutilisés en agriculture. 35% du P et 40% du N sont émis dans les eaux de surface ou de manière diffuse, dont 30 à 50% est perdu en dehors des STEU, par l'assainissement non collectif et les rejets directs des réseaux. Enfin, 15% du P est incinéré ou mis en décharge, tandis que 50% du N est dispersé dans l'atmosphère, en majorité suite à la dénitrification en STEU.
Alors que le rendement épuratoire des STEU a augmenté dans les années 2000, atteignant une valeur nationale de 80% pour le P et 70% pour le N, cela a été suivi d'une décennie de stagnation. Cette stagnation finale du rendement épuratoire, de 60% à 85% selon les bassins, est étroitement associée au classement réglementaire en zones sensibles N et P. Pour le P, l'augmentation des rendements épuratoires a de plus été couplée à une nette diminution des émissions à la source, en amont des STEU, dues à l'interdiction des phosphates dans les détergents. Nos données révèlent en outre une volatilisation ammoniacale non négligeable dans les égouts, rarement mise en évidence, qui mériterait confirmation par une campagne de mesures sur le terrain.
Les différences de recyclage agricole du N et du P sont dues au procédé de dénitrification qui détruit la ressource azotée, résultant en la production de boues au rapport N:P non adapté aux besoins des cultures. Bien qu'il semble encore possible d'augmenter le recyclage du P en se concentrant sur les pertes hors station et en permettant le rendement épuratoire, une nouvelle approche sera nécessaire pour une économie circulaire de N, invitant à repenser plus globalement les interactions entre la gestion de l'eau et celle des excrétions humaines.
AbstractMalgré les progrès substantiels réalisés ces cinquante dernières années pour préserver les milieux aquatiques de la pollution par les eaux usées, la présence d'azote (N) et de phosphore (P) dans les eaux usées continue d'entraîner des coûts de gestion élevés pour les stations d'épuration des eaux usées (STEP) et entraînent une pollution importante des écosystèmes aquatiques. Cependant, N et P dans les eaux usées proviennent principalement des excrétions humaines et possèdent un potentiel fertilisant important. Dans cette étude, nous utilisons pour la première fois des données opérationnelles de plus de 20 000 STEP françaises sur deux décennies pour évaluer les flux de N et P dans les systèmes d'assainissement.
Bien que les ¾ des boues de STEP soient épandues sur les cultures, seuls 50 % du P et 10 % de l'N excrétés sont effectivement réutilisés en agriculture. 35 % du P et 40 % de l'N sont rejetés dans les eaux de surface ou de manière diffuse, dont 30 à 50 % sont perdus hors des STEP, via des systèmes autonomes individuels et des réseaux de rejet direct. Enfin, 15 % du P est soit incinéré soit déposé en décharge, tandis que 50 % de l'N est dispersé dans l'atmosphère, principalement par des processus de dénitrification au sein des STEP.
Après une augmentation de l'efficacité d'élimination des STEP au cours des années 2000, avec des taux nationaux atteignant 80 % pour le phosphore (P) et 70 % pour l'azote (N), la décennie suivante a été marquée par une stagnation de ces améliorations. Cette stagnation finale, allant de 60 % à 85 % selon les bassins, est étroitement associée au classement réglementaire de N et P en zones sensibles. Pour le P, l'augmentation de l'efficacité d'élimination est couplée à une nette réduction des émissions à la source, en amont des STEP, du fait de l'interdiction des phosphates dans les détergents. Nos données révèlent également une volatilisation importante d'ammoniac dans les égouts, rarement mise en évidence, et qui devrait être confirmée par des mesures empiriques de terrain.
Les différences de recyclage de N et P vers l'agriculture sont dues au processus de dénitrification, qui détruit la ressource en azote, entraînant la production de boues dont le rapport N:P n'est pas adapté aux besoins des cultures. Bien qu'il semble encore possible d'augmenter le recyclage du P en se concentrant sur les pertes hors des STEP et en même temps l'efficacité de l'élimination, une nouvelle approche sera nécessaire pour une économie circulaire de l'azote, invitant à repenser plus globalement les interactions entre la gestion de l'eau et des excréments humains.
1 LEESU, Ecole des Ponts, Univ Paris Est Créteil, Marne-la-Vallée, France
1,2 METIS, Sorbonne Université, CNRS, EPHE, Paris, France
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